Dakhabrakha, le groupe ukrainien qui joue la liberté
Dakhabrakha, en ancien ukrainien, signifie “donner/prendre”. Comme un échange, un dialogue, un partage avec son auditoire, le quartet nous offre des sonorités atypiques et nous invite, en les recevant, à continuer de leur donner vie. La musique que Dakhabrakha nous offre est une musique sur la nature, sur la diversité du monde, sur la liberté. Une liberté aujourd’hui entravée par la guerre en Ukraine, qui force le groupe à se séparer, à seulement quelques jours de leur départ en tournée aux États-Unis.
Le groupe Dakhabrakha est fondé en 2004 par le metteur en scène Vladyslav Troitskyi à Dakh Contemporary Arts Center, théâtre indépendant de Kiev. Le quartet est composé de Marko Halanevych, Iryna Kovalenko, Olena Tsybulska et Nina Garenetska. Tous diplômés de l’Université de la culture et des arts de Kiev, ils jouent, à eux quatre, plus d’une dizaine d’instruments venus du monde entier, dont les sonorités indiennes, arabes, africaines, russes, australiennes nous évoquent très vite la vitalité, la diversité et la puissance de la nature dont nous sommes tous issus. Au delà d’un aspect théâtral indissociable de leur identité musicale et de leurs effets scéniques, les Dakhabrakha ont un style inclassable et qui n’appartient qu’à eux, qu’ils définissent par le terme de “chaos ethnique”. Le groupe folklorique, très populaire en Ukraine, a sept albums à son actif, dont le dernier, Alambari, sorti en 2020, porte le nom de la ville brésilienne où il a été enregistré. C’est sa participation à de nombreux festivals et spectacles en France, tels que les Escales de Saint-Nazaire, les Eurockéennes de Belfort, le théâtre du Châtelet à Paris et les Transmusicales de Rennes en 2013 qui lui ont permis d’étendre sa notoriété à l’international.
Les voix d’Olena et d’Iryna sont comme des oiseaux qui chantent, l’accordéon de Marko est comme une brise fraîche sur nos oreilles et le violoncelle de Nina nous berce et nous perd dans les profondeurs d’une forêt indomptée. Il ne suffit plus que de fermer les yeux pour s’y rendre. L’originalité des innombrables sonorités que leur musique nous dévoile est également apportée par des instruments venus des quatre coins du monde, comme la darbouka, percussion répandue en Afrique du Nord, la tabla, percussion d’Inde du Nord, le garmon, accordéon russe, le didjeridoo, instrument à vent joué par les aborigènes du Nord de l’Australie, le buhay, instrument traditionnel ukrainien dont le son se crée par friction, ou encore le zhaleika, instrument à vent slave que l’on retrouve aussi bien en Biélorussie et en Russie qu’en Ukraine.
La musique de Dakhabrakha n’existerait pas sans le partage des cultures, sans la curiosité d’aller voir ce qui existe ailleurs, sans l’envie de s’ouvrir à l’autre et de créer grâce à l’union de plusieurs civilisations. Aujourd’hui, Poutine déclare la guerre à l’Ukraine et les Dakhabrakha ne peuvent plus jouer, ne peuvent plus nous “donner/prendre”. On leur coupe tout dialogue avec le monde, ce dialogue de partage, d’échange et de liberté. Alors que le groupe devait partir pour une tournée aux États-Unis le 30 mars 2022, le voilà dans l’obligation d’annuler la totalité de ses dates. Ses membres, connus pour leur engagement politique, partageaient ce 28 février dernier sur leur page Facebook un message annonçant leur souhait de modifier leurs pochettes d’albums pour faire passer l’information à leurs auditeurs russes et ainsi contrer la propagande. La manageuse du groupe prononce des mots forts au lendemain de l’invasion russe en Ukraine, le 25 février : “ce n’est pas seulement une guerre contre l’Ukraine, c’est une guerre contre l’Europe et toutes les valeurs européennes. Nous avons réellement besoin d’un soutien fort. Au moins pour fermer le ciel, pour se protéger du ciel, parce que la Russie ne s’arrêtera pas…”. Aujourd’hui, la manageuse et Nina, chanteuse et violoncelliste de Dakhabrakha, sont toujours à Kiev. Iryna, chanteuse, percussionniste et accordéoniste est parvenue à franchir la frontière hongroise et à rejoindre sa famille aux États-Unis. Olena, chanteuse et joueuse de garmon a quant à elle rejoint l’Ouest de l’Ukraine. Pour finir, le chanteur et musicien Marko a réussi à fuir Kiev en voiture avec sa famille. Le 1er Mars, il disait “notre souhait est avant tout de rester en Ukraine, de défendre et de soutenir notre terre autant que possible”.
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Sika Mouelle Koula
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